Si j'ai demandé au dessinateur-graphiste DERIK de concevoir une fresque sur la vie du sol pour les portes ouvertes il y a deux ans, c'était dans le but d'illustrer simplement par quel moyen l'agriculture pouvait contribuer au stockage du carbone dans le sol et donc à la limitation de l'effet de serre.
Un mouvement agronomique de fond éveille peu à peu le milieu agricole et secoue bien des idées reçues et rabâchées dans l'enseignement officiel. On le nomme sous différentes formes techniques telles que permaculture ou agriculture sur sol vivant mais il est aussi porté par des influences venues d'Amérique latine avec les paysans sans terre ou via campesina. Rien dans tout cela n'est uniforme ni univoque mais un point commun anime malgré tout les acteurs de ces réseaux et il consiste en deux point : autonomie du paysan et respect de l'intégrité du sol. Le deuxième point est la condition pour obtenir le premier.
Je ne vais pas ici détailler toutes les implications de cette notion de "respect du sol" mais aller directement à sa conséquence sur le bilan carbone de la filière agricole. Je vais donc prendre mon exemple pour montrer comment très rapidement il est possible d'obtenir des résultats remarquables. Depuis le début de ma conversion à l'agriculture biologique, j'ai dû réfléchir à la meilleure façon de lutter contre l'ennemi numéro du vignoble en Gironde, le mildiou. En 2018 une très forte attaque a impacté l'ensemble du département et je n'ai pas été épargné sauf sur une partie de mes parcelles sur lesquelles j'étais très en retard sur mon programme d'entretien des sols. En clair, j'avais laissé la terre telle quelle depuis les vendanges 2017. L'herbe recouvrait donc toute la surface sous le rang et entre les rangs. Pour des raisons biologiques de compétition des champignons,, physiques de rétention de l'eau et de limitation de l'évaporation, d'enfouissement des oeufs d'hivers des années précédentes (forme de conservation du mildiou), chimiques d'amélioration de l'équilibre redox etc... la situation dans ces parcelles fut bien meilleures que dans celles intégralement travaillées où les dégâts allèrent jusqu'à 100% de la récolte. Cette observation m'a conduit à réfléchir sur les effets du non travail du sol sur les autres paramètres agronomiques et notamment le plus important d'entre eux qu'on appelle la fertilité. Bien des chercheurs renommés tels que Marcel B Bouché, Marc-André Sélosse, des praticiens de terrain tels que Konrad Schreiber, les époux Bourguignons et sûrement d'autres que je ne connais pas font l'apologie du non travail du sol pour capitaliser de l'énergie restituable aux cultures. Depuis 3 ans donc, j'ai suivi des parcelles plantées en vigne ou en friche.
Sur mes friches, je n'ai pas travaillé du tout les sols tandis que sur mes vignes, j'ai gratté un peu sous les rangs et sous le passage des roues durant l'été et juste avant les vendanges. Au fil des ans, le taux de matière organique sur les friches a régulièrement augmenté et dans une proportion moindre dans mes vignes. La différence s'explique dans ce cas par le maintien d'un peu de travail du sol et par l'exportation du raisin chaque année. Néanmoins la direction est donnée et les chiffres parlent. Je suis passé de taux de 1.5-2 % à 2.5-3% sur mes friches en l'espace de trois ans. Sur les vignes le gain est de l'ordre du demi-point avec parfois des augmentions plus fortes par endroit et des stagnations sur d'autres à cause de l'historique des amendements et ou travail du sol plus ou moins important dans le passé récent.
J'ai calculé que l'augmentation moyenne d'un point de matière organique sur mes sols (évaluation à 4000 T de sol par ha) pouvait contribuer à stocker environ 40 T/ha soit sur mes 7ha 280 T de carbone. Cela correspond à 1000T de CO2.
En équivalent km de voiture (je prends 0.15 kg de Co2 / km) cela équivaut 6.5 millions de kilomètres.
Cela ne veut pas dire qu'en augmentant de 1% les taux de matière organique sur 7 ha , on peut rouler 6 millions de kilomètres sans réchauffer la planète. Il faut en effet prendre en compte l'énergie dépensée sur l'exploitation (utilisation du tracteur, de la voiture, consommation électrique liée à l'activité vinicole, consommation en eau, recours aux emballages, au transport de marchandise ...) .
Mais si l'on prend juste en considération le fait d'une part que cela est possible et sur une période de temps limitée (moins d'une décennie) tandis que le corolaire principal est de moins utiliser son tracteur, l'amélioration du bilan carbone est elle d'emblée évidente. Si l'on considère qu'il y a à peu près un employé pour 5 ha de vignes (patron, personnel administratif et vignerons inclus) , augmenter de 1 % le taux de matière organique stockerait l'équivalent du CO2 consommé au cours de 4.7 millions de kilomètres soit plus que ce qu'une personne peut rouler dans sa vie, sans doute le double ou le triple.
Tous ces chiffres très approximatifs ne constituent pas une démonstration précise mais une démonstration de la tendance et de la direction à prendre.
Il y a un levier énorme à actionner dans l'agriculture pour améliorer le bilan carbone de notre société. Cette augmentation doit contribuer en outre à rendre les paysans de moins en moins dépendants des intrants (chimiques ou naturels) et par la même amplifier le gain en carbone (stockage +baisse de consommation ).
La cerise sur le gâteau dans tout cela est l'accroissement de la vie bouillonnante dans les sols (vers, arthropodes, bactéries, champignons) , le retour des oiseaux dans nos campagnes, l'amélioration de la qualité de vie des agriculteurs et le verdissement (au sens propre) de nos campagnes.
Pourquoi s'en priver ? Il y a encore beaucoup à dire et cela concerne plus la politique, le syndicalisme agricole, la sociologie et la psychologie collective que l'agronomie à proprement parlé.
Écrire commentaire
ennonchaloir@orange.fr (mercredi, 30 décembre 2020 13:42)
Passionnant ...!