Le millésime 2020 fut à marquer d'une pierre blanche à bien des égards. Les débuts chahutés par les alertes gel dans le silence tout aussi glaçant des premiers temps du confinement ont donné le ton. Rien ne serait banal en cette année. Les torrents d'eau de mai qui ont réveillé le mildiou puis noyé les terres à certains endroits ont imposé aux racines de chercher de l'air près de la surface pour manquer d'eau rapidement en juillet au moment où une implantation profonde eut été préférable. Mais on ne fait pas deux fois son stock racinaire dans une saison. Heureusement les sols majoritairement filtrants des Graves ont quand même montré leur efficacité au cours de ces épisodes et permis une évacuation rapide des excès de la pluviométrie . C'est cette eau qui installée dans le sous-sol a permis de passer bon an mal an les deux longs mois chauds et secs de juillet et août. L'intégrité du feuillage fut préservée et les raisins ne flétrirent pas mais en revanche ils ne furent pas aussi gros que d'habitude. 2019 avait déjà donné le ton avec une perte de rendement dans les dernières semaines sèches avant vendange. Dans ces cas là, même en prenant des mesures adaptatives, il n'y a malgré tout jamais de correction totale, loin s'en faut. Le maintien du couvert herbeux atténue les rayonnements lumineux et une fois le cycle végétatif accompli, les herbes mortes forment un tapis isolant le sol de la chaleur et préservant l'évaporation. Mais rien ne remplace quelques bon orages (sans grêle...) en juillet ou en même de préférence en août afin de maintenir intact le volume de chaque baie acquis au moment du début de la maturation (appelé véraison ). Cette année trois malheureux petits crachins insignifiants en août n'ont apporté qu'une humidité superficielle à une vigne assoiffée.
Dans ces conditions, la précocité du millésime acquise dès le mois de mars ne s'est pas démentie. Les blancs furent vendangés le 28 août (du jamais vu à la propriété) puis les rosés, les merlots et les cabernets ramassés entre la mi et la fin septembre.
Il y eut en outre cette semaine totalement folle et éprouvante entre le 14 et 19 septembre. Une canicule tardive s'est abattue sur des vignes déjà privées de pluie depuis deux mois et demie. Les degrés potentiels acquis par les raisins (le taux de sucre converti en équivalent alcool ) semblaient ne devoir jamais arrêter leur course vers des sommets, au risque de perdre la typicité régionale. Certaines parcelles annonçaient presque 15 %. Attendre la fin de la canicule représentait le risque d'avoir un degré moyen dans les cuves supérieur à 14,5, voire peut-être 15. Il fallu donc vendanger dans la précipitation et tous les vignerons eurent le même réflexe. Ceci induit une sollicitation de la main d'oeuvre au delà de ce qu'elle pouvait donner. Les vendanges manuelles sont effet de plus en plus assurées par des entreprises prestataires de service. Si chaque propriété avait eu ses propres vendangeurs le soucis eut été minoré. Mon prestataire, un établissement spécialisé d'aide par le travail, eut d'énormes difficultés à faire face. Les ouvriers supportaient mal la chaleur, les arrêts maladie se multiplièrent et il n'était possible de vendanger que le matin pour des raisons humaines et techniques évidentes. Ce fut finalement le système D qui prévalut et la solidarité d'amis et de cousins, que je remercie chaleureusement, permit de rentrer les merlots dans le chai à des degrés encore raisonnables entre 13.5 et 14.5 selon les parcelles. Les cabernets et les petits-verdots sauveurs de l'équilibre du millésime car mûrs plus tard avec un climat qui devint plus classique, assurèrent un gain de fraîcheur et un taux alcool plus bas .
Il n'en reste pas moins que le résultat de l'ensemble semble époustouflant car tous les fruits furent ramassés mûrs, avec une couleur et des arômes fortement concentrés par le petit rendement. La récompense du millésime confiné, arrosé puis asséché fut ce beau résultat acquis malgré toutes les embûches qui jonchèrent ce parcours sinueux jusqu'en septembre, La satisfaction d'avoir réussi à "faire bon" n'est pas un salaire qui nourrit le vigneron mais c'est incontestablement le moteur qui le pousse à persévérer en dépit des difficultés. C'est ce défi qui donne du sens au métier et qui fascine les amateurs dont la dégustation éclairée peut être vue comme la transcription sensorielle du récit total d'un millésime.
Écrire commentaire