La série le ptit Quiquin de Bruno Dumont s'ouvre sur cette phrase du célèbre commandant Van der Weyden répliquant à une remarque littéraire hors de propos de son fidèle adjoint . Peu importe le contexte et le côté plus que décalé de la série, la citation reflète en tout cas bien la situation dans les vignobles du 15 mars jusqu'à aujourd'hui.
Du jour où la vie économique s'est figée en France et où les échanges commerciaux en Europe ont été contrariés, il n'était plus temps de philosopher mais d'agir et si possible sans se tromper car l'efficacité rapide était de mise.
Le gel, invité plus trop surprise ces dernières années, a frappé fin mars, me permettant de tester l'efficacité des bougies de cire concentrées sur les secteurs sensibles. Là aussi de minuit à 7 heures du matin, par deux fois, il n'était plus temps de philosopher.
Le personnel des établissements spécialisés d'aide par le travail (ESAT) auquel j'ai recours, déclaré personnel à risque par les autorités, a cessé toute activité jusqu'au déconfinement. Me retrouvant tout seul pour finir les travaux d'hiver et commencer illico ceux du printemps, il n'était plus trop temps de philosopher.
Les restaurants et brasseries qui me faisaient l'honneur de mettre du château de Sauvage sur leurs tables furent contraints de fermer du jour au lendemain. Pour eux la situation n'est toujours pas réglée. L'arrêt des commandes encore valable jusqu'à aujourd'hui m'a conduit à solliciter tous mes clients et mes amis pour sauver un bateau menaçant de couler. Bien des amateurs et des personnes sensibles à l'avenir de notre agriculture nationale ont réagi magnifiquement et je les en remercie du fond du coeur. Les commandes de quelques cartons additionnées les unes aux autres ont constitué un beau rempart contre la déprime et m'ont donné la force pour passer ce vilain cap. Tous ces clients connus ou inconnus eux aussi ont arrêté de philosopher, ils m'ont aidé souvent sans avoir jamais goûté le vin.
Les jours ont passé, les beaux jours semblaient revenir quand le week-end du 9 et 10 mai, 150 mm d'eau se sont abattus sur les vignes, laissant mes voisins de Pujols sur Ciron les bras ballants avec un orage de grêle hachant menu les rameaux et les feuilles.
Sur la clairière de Manine, heureusement ce ne fut que de l'eau mais de l'eau comme on en avait jamais vu en si peu de temps.
La protection biologique impose une lutte préventive, il fallait donc après ces abats d'eau traiter au cuivre et au soufre pour éviter les contaminations successives prévisibles avec un nouveau jour de pluie le mercredi. Il était évident que les vignes se prêtaient très mal au passage du tracteur. Mes sols entièrement enherbés ont permis de soutenir le poids de l'engin mais certains passages au sous-sol argileux et la terre meuble sous le rang si près des roues étaient autant de pièges et de sables mouvants. Il fut impossible de philosopher quand le tracteur resta embourbé par quatre fois. Cette obstination peut sembler absurde mais en 2018, le mildiou progressa terriblement à la suite de gros orages fin juin et détruisit la moitié de ma récolte. A l'époque j'avais voulu préserver mes sols du tassement. Il faut parfois choisir entre deux maux le moins pire mais sans philosopher, juste en évaluant rapidement la balance bénéfice/risque comme disent les médecins.
Aujourd'hui le temps sec semble s'installer pour plus de quinze jours et nous laisser enfin travailler manuellement à l'entretien de la vigne qui n'a pas eu le soin qu'elle méritait jusqu'à présent. Un nouveau millésime se prépare, le meilleur est encore possible et la précocité du cycle présage de belles choses. Pour être au rendez-vous des vendanges, il faut continuer à se retrousser les manches et on attendra cet hiver pour retrouver le goût de philosopher.
Je n'ai rien contre la réflexion d'ordinaire mais quand il faut y aller "faut arrêter de philosopher Carpentier !!"
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