Hommage au café du commerce

Il faut parfois, c'en est peut-être même une condition, s'éloigner de son lieu de vie pour en saisir toute la singularité et la valeur. En déplacement à Paris avant le confinement pour suivre mes clients, me trouvant parfois seul à table, j'ai eu l'occasion d'observer le rapport au terroir des consommateurs par le truchement magique des substantifs gastronomiques.

Face à moi trois hommes parlent racines, rugby, Bretagne. Je suis non loin  de Montparnasse, dans le 15ème arrondissement au café du Commerce dans la rue du même nom,  où la Bretagne est un peu chez elle comme dans le 14ème.

La table commande une bouteille de Saint Nicolas de Bourgueuil avec un steack tartare. Je pense alors à mes confrères de la Loire, à leur belle région, à la douce lumière et aux aurores saumonées en cette saison.  La magie du nom de ce vin s'impose à mes oreilles.

Etre à Paris et boire un petit bout de la "province", un authentique cabernet-franc au nom ancestral servi tout simplement dans cette belle brasserie qui cultive les liens avec les régions, est un moment d'exultation.

A ma droite, on demande un gamay, ce cépage jouit à Paris d'une solide réputation et je m'imagine alors les pentes raides du Beaujolais.  Tout mon respect va à ces vignerons qui s'escriment sur les pentes et qui vendangent encore souvent à la main.

Sur ma table, un verre de Bordeaux Supérieur, au nom gentiment désuet, un bon vin, franc, un 2014 encore rouge vif, signe d'une belle qualité à l'origine.

Dans la même pièce, des pans divers des terroirs français sont appréciés sans façon, parce que le lieu s'y prête et inspire confiance. Personne ne se concentre trop longtemps sur sa boisson, elle est un accompagnement logique de la cuisine. Personne n'en abuse non plus, beaucoup en profitent simplement comme un évidence et un privilège.  Paris concentre les talents des terroirs, la distance sublime les différences de ces produits dont l'authenticité brille encore plus nettement aux côtés des autres spécialités régionales.

Tout n'est pas perdu, la quête du travail honnête est encore accessible et la ville est doute plus supportable avec ces petites  parcelles de ruralité qui s'immiscent dans les rues parisiennes. Ce modèle fait tourner la France depuis longtemps, nous n'en sommes pas forcément conscients sans quitter notre chez-soi.

Je traverse souvent le vignoble de Sauternes. J'y vois sans plus être étonné de belles propriétés trôner sur des croupes graveleuses et se regardant en chien de faïence, chacune fière des infimes particularités de son sol.  Suis-je conscient de la richesse et de la beauté de ce patrimoine ? Certainement mais en rentrant de Paris et en ayant pris en considération là-bas le prix de la différence, de l'unicité, de la persistance de pratiques particulières, de techniques améliorées certes mais fondées sur des dizaines de générations laborieuses, j'en savoure encore plus la valeur.

 

Pour info : photo Café du Commerce ,51 rue du Commerce , 75015 Paris

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