La trilogie du terroir est bâtie autour de l'humain sur un sol et un sous-sol sous un climat déterminé. Ce dernier facteur devient tellement imprévisible qu'il faut en examiner les récents effets.
Les trois derniers millésimes ont tous été des épreuves conduisant les vignerons à reconsidérer leur capacité à accepter les aléas climatiques comme une fatalité. Il y eu donc après trois années favorables de 14 à 16, une série d'années difficiles pour des raisons différentes. Prenons le temps de détailler un peu ce qui arriva lors de chacune d'elle avant d'entrevoir les conséquences techniques et économiques de cette séquence.
2017 : Plusieurs jours de gel intense fin avril portés par une goutte froide qui s'immisça jusque dans le sud-ouest de la France, détruisirent aussi bien les bourgeons primaires que les bourgeons latents. Ceci eut pour effet non seulement de décaler le cycle végétatif d'une quinzaine de jours mais surtout de limiter les possibilités de repousses à fruit. La récolte à Bordeaux fut la plus faible depuis le gel historique de 1991. Les effets déstabilisants de la chute de l'offre bordelaise associée à une élévation des cours sur un marché international avec de nombreuses substitutions possibles se font encore sentir actuellement et bien des chais sont remplis de vins impossibles à brader. Néanmoins la qualité du millésime au moins a-t-elle pu être préservée contrairement à la très catastrophique année 2013.
2018 : Ce millésime semblait bien parti, les vignes ayant pu mettre en réserves des sucres pour passer l'hiver, elles firent de beaux rameaux au printemps. Mais une longue période de pluies régulières voire continues associée à la douceur du printemps puis à la chaleur de l'été déclencha l'une des pires épidémies de mildiou jamais observé depuis que des moyens de luttes efficaces ont été mis au point. Alors en deuxième année de conversion vers le bio, je fis face aux limites des produits de contact, c'est-à-dire lessivables par les averses que sont les cuivres et les huiles essentielles. L'humidité étant si forte dans le sol, celle-ci remonta continument vers les grappes, les contaminant sans alertes préalables parfois sur les feuilles. Une fois atteinte par le mildiou, une grappe en réchappe rarement. A force de luttes, de traitements à faible dose répétés à haute fréquence puis grâce à l'été qui finit par être sec, une partie, la moitié tout juste fut sauvée et s'avéra d'excellente qualité. 2018 est pour l'instant un des meilleurs millésimes qualitativement de la décennie.
2019 : Après deux années difficiles, c'était l'année à ne pas rater. Ayant passé l'hiver à craindre le gel de printemps, puis avril s'étant finalement déroulé sans encombre, nous pensions tous être libérés du risque. Malheureusement les saints de glace ont confirmé la prophétie tant de fois promise mais rarement vérifiée et le 3 mai, un court gel, fugace et à la limite de la destruction frappa les secteurs les plus sensibles. Ce ne furent que 15% des surfaces qui souffrirent mais certaines parcelles pâtirent
malgré tout du refroidissement sans être véritablement détruites. Ceci impacta donc plus la récolte que prévu et fut une mauvaise surprise au moment du calcul des rendements. La qualité globale du millésime reste bonne car la pluviométrie fut bien moins régulière qu'en 2018 et l'été qui fut d'ailleurs trop sec pour permettre aux raisins de stocker du jus, eut néanmoins un effet très positif sur la maturation. Il en est résulté un millésime de bonne facture sans être exceptionnel à cause d'une fleur étalée et de périodes trop chaudes associée à des rendements très décevants. Ceci ne s'est pas vérifié partout et certains secteurs en fonction des réserves hydriques ou des orages abondants mais localisés en août ont réussi à tirer leur épingle du jeu.
De cette série de trois années difficiles pour des raisons différentes, on peut malgré tout déduire que le dérèglement climatique s'exprime d'une façon ou d'une autre pour contrarier la régularité des récoltes et par conséquent la pérennité d'un modèle.
La monoculture de la vigne est-elle encore viable et sinon souhaitable ? Quelles cultures développer dans ce cas ?
Le prix du vin doit-il augmenter pour compenser les pertes successives au risque d'être réservé à une élite hédoniste ?
Les rendements élevés sous réserve d'éviter les catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes , ne peuvent plus être obtenus qu'au prix de l'apport massif d'intrants qu'ils soient biologiques (dans mon cas) ou non. Est-ce véritablement écologique de solliciter autant de force mécanique, de transport et donc d'énergie fossile, pour apporter un supplément de rendement d'une culture non vitale pour l'alimentation ?
Si l'on se contente de rendements inférieurs à la moyenne comme cela est souvent le cas en bio, le vin ne deviendra-t-il pas un produit de plus en plus inaccessible comme évoqué plus haut ?
Les vendanges manuelles pour les petites propriétés (hors crus classés) sont-elles encore envisageables dans ces conditions et cela ne serait-il pas une terrible conséquence au moment même où l'emploi agricole est envisagé comme un gisement de travail?
Quels moyens d'adaptations sont-ils à prévoir, quels sont leurs coûts financiers et écologiques ? Lutte par des éoliennes, des chaufferettes, irrigation. Encore faut-il avoir pu préserver une capacité d'investissement. La sécheresse ou l'excès d'eau seront malgré tout impossibles à surmonter s'ils sont trop fréquents à long terme.
Trois années compliquées ne promettent pas avec certitude le même sort pour l'avenir mais si l'on considère l'année horrible en 2013 puis avant elle la tempête de 2010, le petit gel de 2008 et la canicule de 2003, c'est une accélération des avanies qui semble se dessiner sous nos yeux. Les décisions en agriculture ne se prennent pas à la légère car elles engagent toujours pour des décennies. Le virage du bio, du non-labour, de l'agroécologie semble bien amorcé et sauvera à terme notre santé et celle de nos sols mais il reste à trouver également un nouveau modèle plus polyvalent pour créer emploi et stabilité des revenus et ainsi permettre à la ruralité de constituer une alternative au développement fou des grandes villes.
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Frederic C. (lundi, 09 décembre 2019 20:44)
Bonjour,
Qu'il en a du courage,
Le vigneron,
Qu'il en a du courage,
Face aux enjeux du dérèglement,
Et nous derrière avec nos encouragements.
Frédéric B. (mardi, 10 décembre 2019 07:28)
Salut l'ami!
Nous avons le même problème ici avec la culture de l'olivier. Je suis convaincu que la monoculture, sur les petites et moyennes exploitations, est une erreur que nous avions oublié parce que nous avons bénéficié d'une période d'expansion économique et de relative stabilité climatique. Mais jusque dans les années 70/80, la polyculture était la règle chez moi. Et nous n'étions plus une agriculture vivrière depuis longtemps. Il faudra y revenir. J'essaie de convaincre à mon niveau mes collègues. Moi je suis passé à l'oléiculture et l'élevage ovin. Je n'exclue pas de développer une troisième culture... Bon courage et très intéressant et pertinent comme toujours!