C'est la dernière image du film comme dans la chanson "Chaplin" de Nougaro. Le visage d'Encolpe apparaît en gros plan, la mer derrière lui, luit. Son image s'efface en filigrane, une autre la remplace insensiblement, Encolpe est cette fois-ci peint sur un mur. Le plan s'élargit et l'ensemble des personnages du roman se révèle sur des pans délabrés de ruines insulaires.
Je suis fasciné par la proximité que révèle cette scène avec les mondes enfouis dans le passé, auquel par l'imagination donne accès Pétrone et son Satyricon. Ses pages enlevées, aussi vivantes que le quotidien et aussi étranges qu'un monde familier mais longtemps resté caché frappent l'esprit comme par magie. J'ai pu les lire et les relire sans lassitude. Fellini dans sa libre adaptation est l'auteur du fondu-enchaîné final d'Encolpe décrit plus haut. J'y vois une illustration de l'existence de tout à chacun, immédiatement évidente au présent et perpétuée temporairement après la mort par le regard des autres. Ces quelques traces s'évanouissent à la longue mais il nous plaît de ne pas tout perdre en perdant la vie et de pouvoir transmuer notre joie d'exister de proche en proche, de laisser un témoignage émouvant et périssable, émouvant parce que périssable et périssable mais transmis par la chaîne des vivants jusqu'à l'extinction de la vie elle-même dans un horizon quasi-inconcevable.
La dégustation de vieux millésimes peut procurer un effet similaire quoique généralement fugace et non reproductible et c'est ce qui lui donne encore plus de prix. Quiconque a la chance d'ouvrir un flacon bien conservé de 30 ou 40 ans, exhume le travail de personnes parfois décédées et peut savourer un plaisir fossile. On imagine ainsi l'ouvrier vendanger les grappes de 1979, presser le vin puis comme dans le film de Fellini s'effacer pour laisser place à une bouteille solitaire, immobile dans le noir d'une cave humide, attendant ou n'attendant rien, juste là offerte au futur buveur.
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