2018 année d'épreuves incommensurables. Qui aurait cru en voyant pousser autant de grappes sur les pieds en juin que le millésime serait autre chose qu'une compensation du gel de l'an précédent ? On pense souvent à tort qu'une justice immanente vient corriger les rigueurs du sort comme si le malheur n'était non seulement jamais sûr mais plutôt alternatif. A la pluie succède le soleil, à la pénurie succède l'abondance. La version biblique du destin est évidemment bien plus transcendante et trouve un bel exemple dans l'histoire de Job. Immanent ou transcendant, l'aléa, autre terme assurantiel pour parler des calamités agricoles, est en train de frapper fortement la viticulture cette année. Il a pris deux formes majeures que sont la grêle et le mildiou.
Dans le cas qui me concerne le grêle est une peccadille mais pour bien des viticulteurs girondins la messe est dite et les espoirs se reportent déjà sur 2019. La grêle ne laisse que peu de place au combat car l'assaut est brutal et la lutte impossible si non anticipée (filets, canons) .
Le mildiou est un mal bien plus pernicieux car cette maladie dite crytogamique se développe comme son nom l'indique en cachette . Habitué qu'est le vigneron à la combattre, la lutte pourrait prendre une allure routinière, les outils de modélisation numérique du champignon pourraient laisser accroire que tout est sous contrôle, mais en 2018 avec son climat tropical chaud et très arrosé, les conditions sont devenues tellement favorables pour les petites spores que presque tous les professionnels ont au moins à un moment douté.
A la propriété, en conversion vers l'agriculture bio, la lutte fut axée sur la répétition bien séquencée de petites applications de cuivre et d'huiles essentielles d'orange. Cela aurait pu fonctionner à la condition de ne pas avoir de répétions d'orages trop violents et successifs empêchant une application entre chaque évènement. C'est ce qui s'est produit entre le 30 juin et le 6 juillet avec trois orages en 5 jours.
Dès lors, la maladie s'est empressée de gagner les jeunes pousses qui n'ont pas manqué de surgir avec la chaleur et l'eau abondante. Partant des pousses, par repiquage appelé "contamination secondaire", les grappes pourtant parvenues à un stade peu sensibles ont été frappées. Durant cette saison, certains ont traité plus de dix fois et pour la plupart les symptômes ont quand même fini par se manifester. A t'on l'impression d'avoir mal fait ? Evidemment, on va se reprocher a posteriori la petite fenêtre dont on a pas su profiter et qui aurait peut-être évité la contamination. De fait, tout repose sur ces choix là, une combativité incessante mais du même coup cela laisse peu de place à la défaillance qui est à un moment ou à un autre le lot de tous.
C'est pourquoi, un peu dépassé, on en finit par penser à autre chose qu'à la technique et que l'histoire de Job vient à l'esprit. J'ai lu il y a quelques années, remise dans le goût du 20ème siècle, le "Job"de Joseph Roth qui à la façon de l'histoire biblique, fait plonger son malheureux héros juif russe dans les tourments les plus atroces avant de voir la lumière à la toute fin du récit. Nous ne sommes pas encore arrivés à l'épilogue du millésime. Les grappes sont parfois détruites, parfois juste un peu atteintes, parfois préservées mais avec un feuillage contaminé comme une épée de Damoclès au dessus d'elles. Il reste quinze jours à tenir d'ici à la véraison, date à laquelle généralement les raisins ne sont plus sensibles au mildiou. Seront nous des Job harcelés par le sort mais ne remettant pas en cause notre métier même dans l'adversité ? Comme lui nous laisseront nous aller à en vouloir à Dieu ? Comme lui, retrouveront nous nos enfants (transformés en raisin pour l'occasion ) à la fin de l'histoire ?
Les enseignements seront bientôt tirés de tout cela et notamment de l'efficacité des logiques de lutte (bio ou conventionnel) et des modes de culture (enherbement, travail du sol, activation de la matière organique, amendements etc..)
Mais dès demain, la lutte continue. Encore quinze jours...
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