Il faut une année à la vigne pour accomplir son cycle. Le repos hivernal a certes son importance mais le vigneron n'y est pour rien, sauf lorsqu'il choisit de tailler tardivement pour limiter les risques de gel. Le cycle végétatif est rempli d'embûches pour lesquelles chacun a ses propres recettes.
Le travail en revanche est constant, suivi, et il aboutit après maints efforts à une courte période, où le sort du vin se joue presque aux dès.
Une nuit chaude et humide peut faire regretter d'avoir voulu atteindre la perfection d'une peau fine et de pépins noisettes.
La pluie non prévue peut gâcher une année d'obstination car lorsque le raisin est mûr, il n'y a qu'un clin d'oeil entre la maturité presque parfaite et la pourriture qui corrompt l'idéal.
Ainsi va le monde, qui voit basculer son sort sur le coup de sang d'un dirigeant, un millésime chavirer pour avoir voulu trop en tirer. Les heures cumulées de labeur ne valent rien sans la valeur du choix final. Vendanger une semaine trop tôt conduit à la verdeur des tanins et à la rigueur implacable du jugement critique. Trop tôt ou trop tard, le choix est pourtant tenu par de si insignifiantes contingences comme le positionnement d'un dimanche où les aléas de la vie commerciale. Le bon jour dépend si peu de son propre talent et de tant de vols de papillons.
L'augure du bon moment sonne parfois et l'heureux vigneron peut exulter l'année où il sent couper le raisin à l'instant même où il aurait pu rêver le faire.
C'est un peu cela, le millésime idéal, celui qui se passe comme dans un rêve,là où l'apesanteur n'a plus de prise et où le temps ne défile pas toujours au même rythme, un moment où l'intuition coïncide avec la chance.
Je ne me souviens pas de rêves viticoles, je rêve plutôt éveillé, avec cette décision à prendre pour convoquer tel lundi ou tel lundi suivant des hommes et des femmes qui feront choir dans leur panier des grappes toujours imparfaites.
C'est le choix suprême, le choix qui peut coûter bien des raisins mis à terre pour une perfection toujours à venir.
Mais une fois la vendange accomplie, seul l'orage du lendemain peut nous consoler de n'avoir pas été plus audacieux.
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