Je suis vigneron dans un petit village du Sud-Gironde. De retour d'une tournée de livraison à Paris, je suis tombé en arrêt face à un spectacle terrifiant. La capitale était déjà loin, les bords de Seine réservés à Paris-Plage et protégés par les CRS aussi. J'étais sur l'autoroute, peut-être déjà l'A10 mais pas encore en rase campagne. De l'autre côté du terre-plein central, des kilomètres de bouchons défilaient tranquillement car moi qui quittais la mégalopole, je n'étais freiné par rien. Il était 16h. Beaucoup de vacanciers rentraient encore et cela devait expliquer cet écart manifeste de circulation entre le sens Paris-Province et Province-Paris. Tout à coup, je vis dans le ciel, de gros avions en phase de descente vers leur piste d'atterrissage. J'avais dans un même champ de vision, des avions quasiment en colonne au dessus de moi, deux files ininterrompues de voitures à l'arrêt sur ma gauche et en fond de tableau des hangars logistiques gigantesques, quelques cheminées fumantes et des clôtures qui barraient le paysage. Mais quel paysage ? Je n'étais plus en ville, cette belle ville privilégiée, avec ses petits commerces et ses produits bio, ses transports en commun multimodaux, ses monuments, ses cafés et ses canaux.
Je n'étais pas encore à la campagne, les champs pourtant peu réjouissants du pourtour parisien ne montraient encore rien de leur platitude non contrariée par quelque haie ou bosquet. J'étais dans une zone indicible, une sorte de marge, un enfer pour le piéton, un pensum pour l'automobiliste, un territoire de jonction, une énorme tuyauterie qui relie la capitale à son pays. Je me suis alors senti étranger à ces surfaces saturées de véhicules, au ciel encombré d'aéronefs et à l'étendue quadrillée de structures métalliques et d'entrepôts logistiques. J'étais heureux de quitter au plus vite ce secteur mais je me sentais coupable de le penser car c'est bien par là que je devais passer pour livrer mon vin. A ma mesure, je contribuais à polluer l'air, je profitais de cette concentration urbaine pour aller écouler ma marchandise, j'avais besoin de fatras de tôles et goudron pour vivre au loin dans le calme avec pour seul horizon ma lisière de pins et de chênes, encadrés par les trembles et les acacias.
C'est donc mon constat, je dois avouer que j'ai besoin des villes et de leurs corollaires, de ces marges perdues de notre espace urbain pour vivre une tranquille existence dans les bois en vendant mes produits aux citadins. Il faudrait vraisemblablement repeupler les campagnes, y remettre d'anciennes activités en service. Notre pays dispose encore de beaucoup d'étendues disponibles pour la culture, l'agriculture, l'artisanat, le commerce de proximité, la création. Mais si l'on dois densifier l'habitat rural, il faut à tout prix éviter de reproduire en miniature ce que les grandes villes ont développé à leur périphérie. Ces zones là sont un enfer pour l'homme.
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