Après avoir entendu le journaliste Christian Laborde développer sa vision de l'élevage et dénoncer le système carcéral et intensif que développe en partie le monde du lait et de la viande, je me suis pris à penser à l'adaptation de cette logique au monde viticole. On le sait peu, mais la concentration de la production est déjà en oeuvre depuis longtemps dans les vignes. Le nombre de déclarants dans les Graves a dû être divisé par deux en 20 ans. Les propriétés deviennent plus grandes, les distances parcourues sur la route par les tracteurs s'allongent. Dans le monde des caves coopératives, les fusions ont abouti à la création de mastodontes, machines à exporter des millions de bouteilles à bas prix. La conséquence économique immédiate de l'augmentation des surfaces est de faire baisser les coûts fixes dans les propriétés, un seul chai, de plus grosses cuves, des machines mieux rentabilisées. La compétitivité est forcément meilleure, la possibilité d'offrir un grand nombre de bouteille et de lui adjoindre un budget promotionnel conséquent sont autant d'éléments convaincants pour les chefs d'entreprise que deviennent les enfants de vignerons ou bien que sont les repreneurs de vignobles issus du monde de l'entreprise voire de la grande distribution !
LES CONSEQUENCES ENVIRONNEMENTALES
Mais qu'en est-il des logiques culturales mis en oeuvre par ces structures de plus en plus grandes ?
Ce que je constate en premier lieu est la nécessité plus on accroît les surfaces, de montrer patte blanche dans le domaine environnemental. Des labels ont été crées, qui sont des moyens très lourds de garantir au consommateur qu'une réflexion a été menée tout au long de la production. Les pouvoirs publics, les interprofessions ont crée des sigles alléchants comme "système de management environnemental" dont le but est d'arriver à la certification ISO 14001. Le graphique ci-dessous pêché sur un site consacré à cette norme, montre à quel point on peut arriver à bureaucratiser jusqu'au respect même de la nature.
Les intentions sont louables mais où se situe le biais à mon avis ? Quand on en arrive à mettre en place des commissions pour se demander dans son "entreprise" viticole ce qui cloche dans le respect des équilibres biologiques, c'est sûrement que la distance entre le décideur et l'exécutant doit être bien longue...
Est-il vraiment nécessaire d'instaurer des séances de réflexion pour installer un récupérateur d'eau ou pour mieux nettoyer son pulvérisateur ?
Celui qui produit, qui utilise les machines n'a pas besoin de tout cela. Le chef d'entreprise en revanche ne pourra pas s'en passer, car son esprit est ailleurs, ses yeux sont plus souvent rivés sur un écran que sur la lisière mordorée dont l'image décore le pied de page de ce site.
LA SPECIALISATION DU PERSONNEL
Mais d'autres corollaires à l'agrandissement apparaissent également. De grandes exploitations signifient plus de mécanisation, plus de technologie. Comment faire le tour de tant de parcelles pour détecter les maladies, goûter les raisins ? Alors, généralement, les parcelles deviennent plus grandes, les rangs s'allongent. Mais qui pense au pauvre tailleur qui restera plusieurs heures dans la même rangée ? Même plus grande, une exploitation viticole nécessite toujours la même dose de soins à chaque endroit. On y suppléera avec des drones et des images satellites. Parfois, cela est cependant fort bien fait dans les vignobles à haute valeur ajoutée, où le personnel est adapté à la surface. On sectorise, on affecte, on responsabilise, on découpe les métiers (tractoriste, ouvrier viticole, ouvrier de chai, adjoint chef de culture, directeur technique, responsable qualité .....)
Qui a la vision globale dans ce cas là ? La personne privilégiée recrutée pour chapeauter l'édifice, qui aura fait de longues études (agro, diplôme d'oenologie, master de gestion de propriété...). Pour les autres, c'est 35 heures de spécialisation par semaine, comme partout ailleurs dans l'industrie.
C'est bien le soucis, la viticulture, comme l'élevage, comme tout dans notre économie devient une industrie.
Et pourtant la presse ne parle que de portraits de vigneronnes et de vignerons, de parcs arborés, d'histoires de famille, de belles histoires . Un peu loin de la réalité ? Malheureusement oui. La niche que représente la viticulture familiale, risque de subsister pour alimenter les bars à vin de centre ville et les beaux articles des revues en papier glacé.
Le statut de salarié remplace celui d'indépendant, les paysages viticoles remplissent une fonction "environnementale et paysagère" à défaut d'être une culture et l'âme d'une région. L'observation du terrain au plus près et l'absence d'intermédiaire entre celui qui constate, celui qui préconise et celui qui décide, est le plus sur moyen de garder les pieds sur ... terre.
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